06/05/2020

Maintenance, industries, médecine... : des nouvelles promesses de l'impression 3D

     Des masques, des visières, des pièces médicales et peut-être bientôt des respirateurs low cost. Depuis quelques semaines l’impression 3D fait à nouveau figure de vedette. En jouant les pompiers volants au secours des soignants, elle se place même à nouveau comme un recours pour l’avenir. En France des dizaines de bénévoles se sont mobilisés. « Quelque 200.000 à 300.000 visières de protection ont été fabriqués en une dizaine de jours grâce à un réseau de 10.000 makers », explique Simon Laurent président du Réseau Français  des Fablabs. Quant à l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris, elle s’est équipée pour répondre à ses propres besoins. Une effervescence qui redonne des couleurs à une technologie qui n’a pas donné lieu à la révolution industrielle que certains annonçaient.
     L’impression 3D s’est d’abord cantonnée à la fabrication de maquettes et de pièces plastique destinées à des prototypes. Après avoir élargi son champ d’action à la céramique  et au métal, l’impression 3D s’est ouverte au monde de la santé pour fabriquer des prothèses ou des implants dentaires. Les progrès réalisés dans le domaine des polymères permettent désormais de fabriquer des pièces ayant d’aussi bonnes qualités mécaniques qu’avec l’injection plastique. Le principal avantage de l’impression 3D tient à la rapidité de conception et un investissement minime. Son inconvénient une cadence de production trop basse pour une production de masse. 

Masque de plongée et oxygénothérapie 

     L’aéronautique fut l’un des premiers secteurs à adopter l’impression 3D mais pour des pièces relativement mineures. Qu’il s’agisse de petits supports de fixation ou de parties de tuyauterie. « Dans l’aéronautique, les grandes avancées technologiques et l’adoption de nouveaux moyens de production se font à l’occasion de lancement de nouveaux programmes d’avions », explique Jérôme Rascol en charge de l’activité fabrication additive chez Airbus.
     Dans l’automobile, la technologie est longtemps restée cantonnée aux bureaux d’études et au prototypage. Depuis 2018, Renault a introduit l’impression 3D dans chaque usine et imprime chaque année 30.000 pièces plastiques destinées aux chaînes de production comme des supports de fabrication ou des protections pour éviter que les outils manipulés par les ouvriers n’abîment les carrosseries. Le constructeur peine encore à imposer cette technologie à ses fournisseurs. « Cette crise va contribuer à ouvrir les yeux des industriels. S’ils impriment ces pièces cela offre plus de souplesses, évite de passer par la fabrication de moules et permet de réduire les stocks », explique Teresa Salcedo, digital officer du groupe Renault.

     En médecine : Les soixante imprimantes 3D sont alignées dans l’abbaye de Port-Royal intégrée à l’hôpital Cochin. Grâce au financement du Groupe Kering, l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris associée à l’Université de médecine de Paris- Descartes s’est dotée d’une véritable petite usine. Ici, on a fabriqué depuis début avril des dizaines de modèles de pièces en plastique indispensables au fonctionnement des services d’urgence. La batterie de machines a fabriqué par milliers des visières de protection, des valves pour respirateur, du matériel d’intubation, des poignées. « Nous avons une vision à long terme. A l’issue de cette crise qui va encore durer des mois, nous garderons ces imprimantes 3D car elles sont très polyvalentes. Elles seront réparties dans les quatre hôpitaux parisiens et produiront les pièces manquantes ou défaillantes mais serviront aussi à la recherche ou du développement », explique Gérard Friedlander, doyen de la faculté de médecine de Paris-Descartes.

Un nouveau modèle industriel ?

     Tout va-t-il changer avec la crise du Covid-19 ? Les initiatives ont en tout cas fleuri. On a ainsi imaginé de détourner les masques de plongée Easybreath de Decathlon  pour les transformer en système d’oxygénothérapie pour des patients ou en masque de protection pour les soignants. Des entreprises, comme Airbus ou Safran associé à Segula Technologies, se sont lancées dans une course à l’innovation pour les adapter. « L’impression 3D permet de travailler très vite. En deux jours on peut concevoir la pièce, l’imprimer, la tester puis la modifier. On produit ensuite quelques centaines d’exemplaires en attendant de fabriquer les moules pour en produire des milliers», résume Jérôme Julien responsable de la transformation numérique chez Segula Technologies. D’autres vont beaucoup plus loin. A l’image des quatre designers du projet MUR (Minimal Universal Respirator) qui face au manque de matériel se sont lancés dans le développement d’un respirateur artificiel. Le prototype est aujourd’hui testé par des médecins. Ils ont relevé le défi en moins d’un mois grâce à l’impression 3D et une approche low cost. Avec une pompe d’aquarium pour la source d’air et des joints fabriqués grâce à des chambres à air de vélo. « Nous nous sommes contentés du matériel dont nous disposions dans nos ateliers le jour du confinement et de ceux apportés par nos partenaires », insiste Antoine Berr l’un des participants au projet. Peut-on pour autant envisager un nouveau modèle industriel dans lequel l’impression 3D jouerait un rôle pivot ? Philippe Bihouix essayiste et pourfendeur des thèses de Jeremy Rifkin dès 2014 reste toujours sceptique : « Même à la lumière de cette crise sanitaire je ne vois rien de fondamentalement nouveau. C’est une application de niche. » Et pour se développer elle devra voir ses coûts baisser. 

L’économie circulaire 

     Tout pourrait dépendre de la façon dont nous reconfigurons nos économies. Certains appellent déjà à revenir sur une industrie trop dépendante de fournisseurs lointains. Un bon point pour l’impression 3D, analyse Thierry Rayna enseignant chercheur à l’Ecole polytechnique : « Tout recul du commerce mondial et hausse des prix du transport constitue un bon point pour l’impression 3D. » L’incertitude qui risque de peser sur nos économies et la flexibilité qu’auront besoin d’avoir les entreprises devrait encore renforcer l’attrait pour l’impression 3D. Phil Reeves, l’un des consultants les plus reconnus dans ce domaine est beaucoup plus mesuré : « Certes, l’impression 3D peut constituer une sorte d’assurance en cas de rupture. » Difficile toutefois pour lui d’envisager un rôle clé pour cette technologie : « L’impression 3D permet de produire des pièces plastiques simples et des objets métalliques complexes mais pas des écrans, des composants électroniques, ou des moteurs électriques. L’industrie reste donc dépendante des usines classiques. » A moins que nous nous orientions plus franchement vers la réutilisation des objets. « Si on valorise la réparation ou la réutilisation, l’impression 3D prendra une place majeure. On pourra fabriquer les pièces qui prolongeront la vie de nos objets du quotidien et leur donneront même une nouvelle fonction », prédit Phil Reeves. A plus long terme la technologie devrait aussi nous réserver d’autres surprises. Grâce à de nouveaux matériaux ou grâce à l’intégration de l’électronique ou des nanomatériaux, les objets imprimés pourraient acquérir de nouvelles fonctions. 

Petit rappel : Les techniques de la 3D

     L’impression 3D est un procédé qui consiste à convertir un modèle numérique en un objet solide en trois dimensions. On parle de fabrication additive car on procède par ajout de matière par opposition à une méthode soustractive, qui consiste à usiner de la matière existante. La stéréolithographie est la première technologie de fabrication additive mise au point en 1984 par 3D Systems et son fondateur Chuck Hull. Elle utilise un laser ultraviolet qui en chauffant un photopolymère liquide, placé dans un bac, le solidifie couche par couche. Le dépôt de filament fondu connu sous l’acronyme FDM (Fused Deposition Modelling) utilisée par les imprimantes grand public a été inventé par la société Stratasys. Un fil de thermoplastique passe à travers une buse chauffée puis en fondant se dépose par couches successives pour donner naissance à un objet. Le frittage laser utilise non pas du liquide mais de la poudre de céramique, de plastique, de verre ou de métal. La matière est déposée en fine couche que vient alors solidifier le laser selon le dessin de la pièce que l’on veut produire. L’opération se répète couche par couche. La fabrication additive faisant appel au métal est désormais la plus prometteuse pour les fabricants sur un marché total estimé à 17 milliards de dollars en 2020
     (Article dans Les Echos du 5/05/2020)
Bonne maintenance
Olivier