Je vous fais
partager un très bon article de Jean Marc Vittori paru dans Les Echos sur l’évolution
du travail et une nouvelle compétence qui commence à être demandée dans les
embauches.
« A
chaque époque son critère de recrutement. La force physique a longtemps été la
priorité pour chasser le bison, fracasser le crâne des ennemis, aller à la
mine, serrer les boulons, manipuler la pelle…. Au XX° siècle, les
compétences intellectuelles sont passées au premier plan, avec la montée des
services puis des technologies de l'information. Mais l'histoire ne s'arrête
pas là. En ce début de XXI° siècle, l'entreprise et le travail
changent en profondeur. L'automatisation gagne encore du terrain dans les
tâches manuelles et se faufile dans les tâches intellectuelles. Les hiérarchies
sont écrasées. L'économie devient « collaborative». Un consultant
américain, Dov Seidman, résume parfaitement la révolution : «Nous sommes
passés d'une économie industrielle -on embauchait des
bras - à une économie de la connaissance -on embauchait des têtes - et
maintenant une économie humaine -on embauche des cœurs».
Embaucher des cœurs ! Certains trouveront l'idée naïve, d'autres la
rejetteront en affirmant que nous allons au contraire vers un monde de plus en
plus dur où le cœur n'a aucune place. Il faut donc l'étayer avant d'explorer
les effets de ce basculement sur l'entreprise et la société, qui seront
majeurs.
Dans
l'économie de demain, la capacité à coopérer sera centrale.
Partons donc des propos de Seidman. Pour ce juriste de formation qui a aussi
fait des études de philosophie et d'économie, auteur d'un best-seller de
management préfacé par Bill Clinton, «il n'y a pas de guerre à venir entre
l'homme et la machine. Les machines ont déjà gagné. Au lieu de rivaliser
avec elles ou de vouloir maintenir une suprématie dans des domaines tels que
l'analyse quantitative, nous devons les compléter. Seuls les humains ont des
qualités comme la capacité à collaborer et à communiquer, ou à faire preuve de
courage». Dans l'entreprise d'hier, beaucoup de salariés restaient dans
leur coin, à faire un travail souvent répétitif. Au-delà de la machine à
café, ils étaient peu en relation avec leurs collègues, et encore moins avec
les clients. Mais le travail répétitif devient largement mécanisé ou numérisé.
Les salariés, eux, travaillent de plus en plus en équipe, en collectif, en mode
projet. Si l'expertise technique reste précieuse, elle n'est utile qu'à celui
qui est apte à collaborer avec les autres. Les autistes ne trouvent plus
leur place, fussent-ils X ou HEC. Place à l'écoute et à l'attention, à
l'empathie, à l'envie et à la volonté d'aller vers l'autre, de coopérer avec
lui.
La même exigence se retrouve, et se retrouvera plus encore demain, pour les
relations de l'entreprise avec ses parties prenantes - ses clients, ses
fournisseurs, ses partenaires. Dans un monde où les frontières des entreprises
ne cessent de se déplacer, leur interpénétration se généralise. Cette interface
de plus en plus large se concrétise par des relations individuelles et donc la
capacité des salariés à les établir et à les fortifier. Quand la production
devient de plus en plus souvent une coproduction avec le client, il devient
vital de bien s'entendre avec lui. L'économie collaborative va pousser à aller
encore plus loin. Chez BlaBlaCar, pionnier du covoiturage, les transportés
notent leur transporteur, mais la notation se fait aussi dans l'autre sens. Ce
qui en jeu ici n'est pas tant l'aptitude à la conduite ou à l'intellect que la
qualité de la relation qui s'établit entre les uns et les autres. Signe des
temps: une jeune activiste britannique, Belinda Parmar, calcule un « indice
d'empathie» pour 160 grands groupes mondiaux.
La montée des cœurs dans la production va chambouler l'entreprise et la
société. On en donnera deux exemples. D'abord, l'embauche. La puissance des
bras est visible à l'œil nu. La puissance du cerveau est labellisée par des
parchemins scolaires. La puissance du cœur, la capacité à travailler ensemble,
à établir la confiance au-delà d'une simple transaction sont plus
difficiles à détecter, à justifier aussi. Certains DRH partent à la recherche
d'indices dans les CV ailleurs qu'à la rubrique «formation». Des chercheurs ont montré que les étudiants ayant une forte implication
associative, dans l'humanitaire par exemple, sont ceux qui montrent la
meilleure aptitude à coopérer (dans un test classique en économie
expérimentale, un «public good games»). Ils montrent aussi que les recruteurs
savent interpréter ce genre de signal dans les CV.
Une faculté
plus développée chez les femmes.
Cette montée de nouvelles compétences va aussi bousculer la société. Les
révolutions industrielles du XVIIe et du XIXe siècle
ont chamboulé la production physique. Elles ont accru la puissance des bras,
et, à terme, la rémunération de ceux qui s'en servaient pour produire. Les
inégalités ont diminué. D'immenses classes moyennes sont apparues. Au
contraire, les technologies de l'information accroissent la puissance des
cerveaux, et donc les revenus de ceux qui s'en servent. Elles accroissent donc
les inégalités et écrasent les classes moyennes. Mais la répartition de ceux
qui ont un cœur, ou plutôt de ceux qui savent s'en servir dans leurs activités,
est très différente de celle de la force physique ou intellectuelle.
L'économiste Marie-Claire Villeval , du laboratoire Gate de
l'université Lyon-II, a montré par exemple dans plusieurs recherches que les
femmes préfèrent la coopération dans leur travail alors que les hommes
privilégient le modèle peut-être bientôt obsolète de la compétition. Non
seulement la femme sera peut-être l'avenir de l'homme, mais elle pourrait aussi
incarner le futur de l'économie. »
Bonne
maintenance
Olivier