31/05/2017

De l'audace, de l'audace...





Voilà un article sur l'audace, du philosophe Roger-Pol DROIT, que je trouve intéressant et que je vous propose de partager.

     « On l’avait presque oubliée. A force d’être obsédés de précaution, de sécurité, de développement durable, à force de tendre vers un impossible « risque zéro » comme vers un but ultime, nous avions fini par considérer l’audace comme une idée vieillissante. Elle habitait toujours livres d’histoire et dictionnaires, mais s’était absentée de l’actualité, notamment politique. Et soudain, voici qu’on ne parle que d’elle : audace de l’ascension si rapide du nouveau président, audace de sa recomposition du paysage politique, audace de sa prochaine réforme du Code du travail, de son agenda économique, de sa remise en route de l’histoire de France. Sans oublier l’hypothèse de cette vertueuse contagion qui, de proche en proche, rendrait bientôt aux Français le sens de l’audace. Reste à savoir de quoi on parle.

     Qu’appelle-t-on au juste « audace » ? Voilà bien une notion faussement simple, et curieusement peu scrutée. Bien sûr, il est facile d’énumérer des exemples d’actes et de personnages audacieux. Le jeune Alexandre part à la conquête du monde, César franchit le Rubicon, Bonaparte traverse le pont d’Arcole, De Gaulle continue la guerre, seul, à Londres, le 18 juin 1940… La galerie des audacieux inclut d’ailleurs quantité d’autres silhouettes – explorateurs, scientifiques, artistes, hommes d’affaires, intellectuels… Chacun, dans son domaine, a su faire exister ce qui semblait, avant lui, impossible ou improbable. De toutes ces figures, héroïques à des titres divers, peut-on extraire les éléments d’une définition de l’audace ? Parmi ses conditions nécessaires figurent visiblement résolution ferme, détermination intense, volonté tenace. Ce résultat est mince. Il parle des variables psychologiques, pas encore du contenu conceptuel.
     Pour cerner l’idée d’audace, les philosophes, hélas, ne nous viendront pas en aide. Ils s’y sont rarement intéressés. Aristote, dans « L’Ethique à Nicomaque », scrute le courage, mais néglige l’audace. Chez les Grecs, ce sont tragédiens et poètes qui distinguent bonne audace et témérité : la première est une prise de risque calculée, la seconde une action inconsidérée et autodestructrice. C’est là qu’il faut creuser. On découvre vite que l’audace n’est pas seulement une action résolue, mais aussi un calcul judicieux. Elle est liée, constitutivement, à une estimation des probabilités Celui qui a 100 % de chances de réussir n’a évidemment aucun besoin d’être audacieux, tant il joue sur du velours. Et celui qui n’a pas la moindre chance d’arriver à ses fins, s’il agit quand même, est seulement stupide ou suicidaire. Mais entre les deux, l’espace est vaste ! Et c’est là que l’audace réside. Elle va « tenter le coup ». Avec plus ou moins de risques selon les circonstances, la configuration des situations, la disposition des pièces sur l’échiquier. En tout cas, il n’y a pas d’audace sans une intelligence du paysage et des rapports de force, sans une analyse lucide des chances. Mais cette démarche intellectuelle, indispensable, n’est jamais suffisante. Parce qu’il existe toujours des angles morts, des impondérables, une part d’ignorance. Il faut donc inéluctablement parier, oser, décider – malgré l’incertitude qui demeure. « Toute décision est une folie », disait Kierkegaard, puisqu’elle outrepasse forcément ce que la raison maîtrise avec certitude.
 
      L’audace, on l’aura compris, c’est la part de volonté qui s’ajoute à l’analyse pour forcer le destin. C’est l’énergie du cœur qui parie pour transformer le cours du monde. C’est elle qui rend possible le fait que « la fortune sourit aux audacieux », comme disait Virgile (Audentes fortuna juvat, Enéide, livre X, vers 284). Au risque aussi d’échouer, il ne faut pas l’oublier ! Car le propre de l’audace est d’avoir raison si elle réussit, et tort si elle perd. Elle n’est jamais dans la vérité ou l’erreur à l’avance, mais seulement « après coup ». C’est sans doute en cela qu’elle a paru si suspecte à la philosophie classique, qui a aimé plus que tout vérités éternelles et certitudes immuables. La pensée du pragmatisme (William James, James Dewey, Richard Rorty) lui convient mieux : est vrai ce qui marche, ce qui montre son efficacité pour améliorer l’état du monde, et non ce qui se donne pour vrai indépendamment de toute sanction de l’expérience. Ce n’est, somme toute, qu’une autre manière de dire ce que tout le monde sait : l’audace est condamnée à réussir. Elle n’a pas droit à l’échec. Sinon, on dira simplement que c’était une erreur. »

      Dans les entreprises aussi, les managers, les responsables, les financiers, les actionnaires, les designers… devraient  retrouver un peu plus d’audace pour accroître leurs parts de marchés et leurs rentabilités. 
L’audace : dynamisme moteur de notre industrie ? On y croit…
Olivier

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