Saint-Gobain célèbre cette semaine ses 350 ans à Paris. C’est
l’occasion d’analyser cette entreprise, ses évolutions, son management… Une
interview de son PDG (Pierre-André de Chalendar) parue dans les Echos est très
intéressante.
« Comment expliquer une telle longévité dans un monde traversé par des ruptures de plus en plus brutales ?
Pour durer, il faut se réinventer en permanence. Et l'innovation a toujours été le moteur de Saint-Gobain. A l'origine, l'entreprise a été créée sous Louis XIV pour faire valoir, déjà à l'époque, le made in France dans la fabrication de miroirs, monopole alors de Venise. Vingt ans plus tard, Saint-Gobain révolutionnait ce métier en inventant une nouvelle méthode de fabrication. Depuis, cette culture de l'innovation ne nous a pas quittés. Et heureusement, car avec l'accélération des mutations technologiques, l'immobilisme est interdit. Les sorties de route de groupes prestigieux comme Kodak ou Nokia en témoignent.
Pour nous, une des ruptures est cette vague numérique et la manière dont elle impacte le secteur de la construction. Le premier effet de ce changement, c'est la place prépondérante prise par l'utilisateur final. Avec l'émergence des outils connectés et de la domotique, il va pouvoir mesurer précisément le confort de sa maison. Il en saura autant que l'artisan qu'il a en face de lui sur les qualités et les défauts de son intérieur. Par ailleurs, la révolution digitale dans la construction, c'est aussi l'irruption de la maquette numérique. C'est-à-dire qu'à partir d'un plan d'architecte des logiciels sont désormais capables de déduire les spécificités techniques de l'édifice, le type et les quantités de matériels nécessaires à sa construction. C'est un gain de productivité gigantesque pour un secteur traditionnellement conservateur. Et, pour nous, ça signifie qu'il faut absolument figurer en bonne place dans les bibliothèques de produits qui commencent à arriver en Europe et en France.
Quel impact ces changements ont-ils sur l'organisation d'un groupe comme Saint-Gobain ?
Cela remet en question la chaîne hiérarchique. On ne pourra plus diriger demain une entreprise comme on le faisait hier. Dans les usines, l'automatisation a remis radicalement en cause le rôle du contremaître. Il en ira de même de la révolution digitale pour les cadres. Nous sommes entrés dans l'ère du management collaboratif. Et, de ce point de vue, Saint-Gobain est plutôt bien armé. D'ailleurs, quand il s'est agi de diffuser la culture numérique au sein de l'entreprise, j'ai refusé de nommer un « monsieur Digital ». J'ai demandé à chaque dirigeant du groupe de s'emparer d'un chantier numérique en plus de ses fonctions traditionnelles. Ce management par projets a permis de faire émerger tout un tas d'initiatives que nous pouvons tester et, le cas échéant, étendre à l'ensemble du groupe.
Dialogue social chez Saint-Gobain ?
Le dialogue social fait partie de notre ADN. C'est pourquoi l'entrée d'administrateurs salariés dans notre conseil ne pose aucun problème. Pour que les discussions au sein de l'entreprise soient fructueuses, il faut d'abord être deux, une direction soucieuse du dialogue social et des syndicats représentatifs. Mais il faut deux autres ingrédients : du respect et de l'anticipation. Le problème, c'est que, en France, les deux font défaut, du fait d'une histoire sociale marquée par la culture de l'affrontement. C'est aussi le fruit de la lourdeur des procédures, notamment celles imposées par le Code du travail, qui rendent difficile la création d'un lien de confiance. Il y a un urgent besoin de réformer tout cela.
Influence du ralentissement des économies émergentes et de la reprise incertaine dans les grands pays développés
J'étais en Chine il y a quelques jours. J'y suis parti avec l'idée en tête, largement relayée par des économistes et les médias, d'un pays dont la croissance économique subit un ralentissement très fort, avec qui plus est des statistiques fausses masquant une situation beaucoup plus grave qu'on ne le pensait. Qu'est-ce que j'y ai vu ? Un pays dans lequel, malgré son étendue, sa complexité incroyable, les décisions de politique économique se traduisent dans les faits. C'est exceptionnel ! C'est formidable ! Ca peut donner des idées… Que se passe-t-il ? Le gouvernement chinois a décidé il y a trois ans de migrer le modèle de développement de la Chine d'un modèle basé sur l'investissement et l'export vers un modèle où la consommation et les services ont une place beaucoup plus importante. Et ils sont en train de réussir. En fait, c'est la partie de l'économie chinoise très liée au reste du monde qui a beaucoup ralenti. L'effet de ce ralentissement est donc beaucoup plus important à l'extérieur du pays. La Chine, elle, va plutôt bien. Et ça, c'est bon pour le long terme.
Puis il y a des pays émergents qui, dans nos secteurs, vont bien : l'Inde, l'Asie du Sud-Est, le Mexique, où nous nous développons très vite. L'Afrique aussi continue de croître. On nous a reproché pendant des années de ne pas être assez présents dans les pays émergents, maintenant on nous dit : c'est bien, vous n'y êtes pas trop. Nous allons poursuivre notre stratégie qui est d'augmenter progressivement la part des pays émergents.
La politique économique française.
D'une manière générale, sur la politique économique de la France, je pense que le cap qui a été tracé depuis un an et demi est bon. Mais il y a encore de la friture sur la ligne. Et puis les résultats concrets restent encore limités. Il faut beaucoup d'opiniâtreté pour faire des réformes en France, même si elles sont de plus en plus urgentes. L'expérience du changement en entreprise montre qu'il faut une volonté très forte, mais que le changement c'est aussi la somme de toute une série de choses. Il est aussi plus facile de faire des réformes juste après une élection. »
(Antoine Boudet et François Vidal, Les Echos)
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